Finance durable : des initiatives en demi-teinte ?

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17 avril 2023

Par Capucine de La Bigne, Editorial Content Director au sein de l’agence DII

Changements climatiques, pertes de biodiversité, pollutions des sols et des mers, catastrophes naturelles… Depuis la seconde moitié du 20e siècle, les activités économiques engendrent des effets à long terme difficilement réversibles. Au cœur de ce phénomène, le secteur financier a souvent été pointé du doigt. La finance durable, définie par la Commission Européenne comme “le processus consistant à tenir dûment compte des considérations environnementales et sociales dans la prise de décisions d’investissement, ce qui se traduit par une hausse des investissements dans des activités à plus long terme et durables”, est-elle une solution qui tient la route ?

Des initiatives pour une finance durable… en demi-teinte ?

En privilégiant pendant longtemps une approche court-termiste et des prises de décision souvent rapides, le secteur aurait été à l’origine de nombreux abus. En effet, qu’en est-il de la prise en compte du temps long, favorable au développement d’entreprises basées sur des modèles plus vertueux ? L’inaction n’étant plus une option envisageable, la finance a été identifiée comme l’un des axes de développement d’une nouvelle économie. Prise de position boostée par l’Union Européenne qui, le 23 février 2022, a présenté ce qui semblait constituer une nouvelle avancée majeure dans la responsabilisation des organisations privées et la valorisation de l’impact au sens large : une proposition de directive sur le devoir des vigilance des entreprises en matière de durabilité, ou Corporate Sustainability Due Diligence (CSDD). L’objectif de ce nouveau et énième dispositif : obliger les entreprises à gérer les impacts sociaux et environnementaux de leurs activités, et ce tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Bel objectif… revu dernièrement à la baisse par les ministres de l’Industrie des 27, qui ont restreint le champ d’application de cette directive et conditionnent l’implication du secteur financier au bon vouloir de chaque Etat membre. La finance durable est-elle bien une réalité tangible aujourd’hui, et le catalyseur d’un basculement plus général en faveur d’un nouveau paradigme ?

Remontons un peu plus loin : si l’Agenda 2030 de l’ONU et les COP successives proposent un cadre innovant pour accélérer l’action, avec notamment l’instauration des 17 objectifs mondiaux de développement durable (ODD), c’est bien aux gouvernements nationaux d’établir un cadre permettant l’atteinte de ces objectifs. De même, les pays signataires de l’accord de Paris ont formalisé leurs engagements en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais il a été largement reconnu que leur traduction concrète était conditionnée à la mobilisation du secteur privé… et du secteur de la finance, en 1ère ligne. La suite leur a donné raison. Celui-ci appelle d’ailleurs régulièrement les gouvernements à instaurer des réglementations prévisibles à long terme avec des échéanciers réalistes, notamment en matière d’incitations à la décarbonisation.

Début 2021, une nouvelle stratégie de l’UE plus ambitieuse a été adoptée afin de consolider la prévention et la résilience face au changement climatique. Taxonomie, directives NFRD et CSRD, standards ISSB sont autant d’éléments qui imposent désormais aux entreprises de revoir leurs stratégies d’investissement et de reportings annuels. Et au-delà de ce millefeuille déjà complexe, les travaux réglementaires sur le sujet sont encore nombreux : les dispositifs existants devraient se voir renforcer au cours des prochaines années. Les enjeux de transparence, chers à la Commission Européenne, ont notamment justifié l’élaboration de nouveaux textes qui concernent l’ensemble de la chaîne d’investissement (entreprises, gérants, conseillers) afin d’apporter davantage de lisibilité au secteur. Les acteurs de la gestion d’actifs ont œuvré pour une harmonisation des pratiques, avec des nouveaux critères de transparence applicables à leurs produits. Depuis janvier 2023, les gérants doivent désormais expliciter leurs stratégies de gestion selon ces nouveaux indicateurs ESG standardisés.

L’été 2022 a aussi vu l’intégration des activités liées au gaz et au nucléaire dans le référentiel de la Taxonomie. Les portefeuilles verts ou durables (selon l’article 9 de la SFDR) peuvent désormais inclure des investissements dans ces secteurs auparavant exclus… confirmant ainsi la prédominance du pragmatisme économique sur l’urgence climatique ?

En octobre 2022, l’AMF et l’ACPR ont publié leur 3e rapport dédié au « Suivi et l’évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place » avec, là aussi, un bilan contrasté. Les superviseurs appellent en effet à une meilleure mise en application des engagements climatiques pris par les gérants d’actifs, à l’instar de la « Glasgow Financial Alliance for Net Zero », allant toutefois jusqu’à souligner une « faible intensité d’actions » de la part des acteurs.

À court-terme, la Commission Européenne proposera de réévaluer l’ensemble des instruments politiques pertinents afin de réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre. Mandaté par celle-ci, le European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) agrège la réflexion de nombreux acteurs très divers (spécialistes des PMEs, régulateurs, auditeurs académiques, ONGs…) et de nationalités différentes, afin de réexaminer les standards de reportings extra-financiers et de pousser vers une harmonisation à l’échelle européenne d’ici 2025.

Si les autorités de régulation, investisseurs, clients et collaborateurs poussent de plus en plus les organisations à intégrer davantage ces critères extra-financiers dans leur pilotage, le secteur financier doit faire face à des exigences sans cesse renouvelées, et parfois périlleuses à maîtriser… En parallèle, les régulateurs n’ont toujours pas légiféré sur la définition d’« investissement durable » (hors Taxonomie), rendant sujettes à interprétations de nombreuses recommandations. Un changement de paradigme certes nécessaire, mais qui ne se fait pas sans heurts.

Contributions de la finance durable et du secteur privé

La finance d’aujourd’hui ne peut plus ignorer la montée en puissance des enjeux sociaux et environnementaux qui explosent et s’invitent à la table des Comexs. Les secteurs non-financiers n’échappent pas non plus aux dernières évolutions réglementaires en matière de durabilité. Que ce soit en matière de financement (intermédiation bancaire, recours aux marchés financiers) d’achat/cession d’entreprise ou même de gouvernance, la prise en compte des critères ESG revêt une importance de plus en plus stratégique, au point de devenir l’une des clés de lecture majeure de la performance des entreprises. Toutefois, les derniers atermoiements auxquels on assiste mettent en exergue les limites actuelles du processus de transition des entreprises et acteurs de l’investissement durable, pris entre insuffisances réglementaires, déclinaison opérationnelle difficile, manque de données ESG et dépendance envers les fournisseurs. Alors que le besoin en financement des engagements pris par les États signataires de l’accord de Paris avait été estimé à plus de 35 000 milliards de dollars répartis sur 2015- 2030 par l’Agence Internationale de l’Energie, et entre 175 et 290 milliards d’euros par an pour l’Europe, la route semble encore longue et semée d’embûches…

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