#5 Métavers, le grand malentendu ?

editorial | marketing b2b

20 décembre 2022

Par Capucine de La Bigne, Editorial Content Director au sein de l’agence DII

Difficile d’échapper au métavers en cette fin d’année 2022 ! Alors que NFTs et web3 s’affichent sur toutes les lèvres, la fusion des mondes physiques et virtuels poursuit sa progression. Roblox, The Sandbox, Horizon Worlds, Decentraland… Les différents métavers pullulent. Comprendre : ces univers virtuels en devenir, qualifiés par certains de nouveaux eldorados voire de déferlante comparable à la révolution internet. Les métavers représenteraient un chiffre d’affaires de plus de 800 milliards de dollars dès 2024, selon une étude Bloomberg !

Métavers… Métaquoi ?

Il faut dire que les potentialités offertes par ce nouveau monde semblent illimitées, tous secteurs confondus. Le métavers, en tant qu’univers virtuel fictif, connecté et totalement immersif dans lequel les utilisateurs évoluent en 3D sous la forme d’avatars, promet de repousser les limites du monde physique jusqu’à ce qu’univers réel et virtuel finissent par se confondre. Progressivement, les écrans, hologrammes, casques de VR sont censés permettre des “déplacements” entre ces univers.

Pourquoi un tel succès maintenant ? L’épidémie de Covid-19 et les confinements ont fortement accéléré la numérisation de la société. Plusieurs secteurs pionniers ont ouvert la voie aux NFT : gaming, musique, marché de l’art, immobilier, secteur culturel… D’autres secteurs étiquetés plus « traditionnels » semblent également s’y aventurer, à l’instar du luxe. Ces derniers mois ont ainsi vu se multiplier nombre de défilés de mode en physique et en digital, avec certaines pièces accessibles sous forme de NFT : Nicolas Ghesquière, Valentino, Jacquemus, Gémo…

Mais au-delà de l’impact médiatique, la création et l’expansion des mondes virtuels pourraient bien devenir un espace d’activité à part entière pour les marques. Elles auront l’opportunité d’affirmer leur identité dans ces mondes digitaux, les créateurs pourront aussi laisser libre court à leur inventivité dans un monde dématérialisé où tout est possible.

Dans ces métavers, le produit créé revêt une valeur : le développement des “Non-Fungible Tokens” (NFT), garantis par une blockchain, permet d’établir le lien de propriété d’un objet virtuel. Avec à la clef un système de royalties, qui peut s’avérer fort rémunérateur pour leurs créateurs.

Et en offrant à ces derniers et aux marques la possibilité de monétiser encore davantage leurs contenus et créations, c’est une nouvelle manne de revenus qui émerge. Avec ses opportunités… et ses dérives.

Le métavers, un espace de non-droit ?

Ce qui se passe dans le métavers reste-t-il dans le métavers ? Ou a-t-il des impacts sur le monde réel ? That is the question !

A l’heure où nous écrivons, le code du métavers (au sens juridique du terme) n’existe pas. Tout y est-il alors possible ? N’allons pas jusque-là. Aujourd’hui, le métavers peut s’apparenter à une plateforme d’e-commerce très développée, au sein de laquelle émergent les mêmes problématiques que dans le monde physique : droit du travail, droit des contrats, droit pénal, droit de la distribution ou de la consommation, droit de la propriété intellectuelle… Les cadres réglementaires existants norment déjà une bonne partie des pratiques ! Une bonne partie… mais attention aux zones grises qui subsistent.

Comme l’atteste Pierre-Xavier Chomiac de Sas, avocat spécialisé en nouvelles technologies et e-sport, « la création technique de ces univers, la propriété (intellectuelle) des biens et services numériques proposés, le traitement de l’ensemble des données qui transiteront par ces espaces ainsi que les thématiques fiscales, pénales et commerciales sont autant d’éléments que le droit devra appréhender au sein des métavers. »

Philippe Goossens, avocat associé du cabinet Advant Altana, va plus loin : « Le métavers pose des questions amusantes en droit des contrats par exemple. Quel est le lieu de signature du contrat ? Il n’y a pas de lieu du métaverse. Faut-il alors considérer que le contrat a été conclu à Paris, à New York, ou ailleurs ? Faut-il se référer au lieu du serveur, du siège social de la boîte ? Faut-il préciser que le contrat a été conclu dans le métavers et renseigner un autre lieu ? ».

Le sujet des avatars, qui permettent de déambuler dans ces univers fictifs, peut également s’avérer épineux. Si selon certains, ceux-ci peuvent se résumer à un dédoublement de soi dans le métavers, la question juridique reste entière : les avatars ne sont pas (encore ?) dotés de personnalité juridique… Or, est-ce qu’un avatar peut avoir une personnalité juridique en propre, et différente de cette de son créateur ou de son utilisateur ?

Qui dirige le métavers ?

Cette frontière personne/avatar devra indubitablement être régie… et avec elle se pose la question de savoir quel juge est compétent, pour quel droit applicable. En définitive, qui fait et défait les règles du metaverse aujourd’hui ?

Les Gafam sont partis les premiers à l’assaut de ce nouvel eldorado, Meta en tête avec plus de 13 milliards dépensés ces derniers mois. Apple et Amazon se positionnent également.
Mais que reste-t-il de la promesse initiale du métavers ? Celle d’un idéal démocratique et décentralisé dans lequel chaque utilisateur, maître de ses données, peut voguer d’un univers à l’autre ? Car à cette liberté retrouvée se confrontent de multiples ambitions. Asma Mhalla, experte en tech policy auprès de la Commission européenne, témoigne : « Au début, internet comptait une multitude d’acteurs, un peu comme avec les multiples métavers aujourd’hui. C’est après que les Gafam ont pris le contrôle. Les métavers pourraient suivre la même trajectoire. »

Des pratiques émergentes, que tentent de cadrer les régulateurs à travers plusieurs textes emblématiques tels que le Digital Services Act, adopté en janvier dernier par l’UE. Cela sera-t-il suffisant ? Autant de questions cruciales pour l’avenir de notre économie numérique, mais aussi de notre démocratie.

Apprendre en marchant, traverser des échecs, rebondir… C’est ce qui fait la force de la démarche, et qu’importe si les entreprises affichent des niveaux de maturité variés, tant que la volonté est là.

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