RENCONTRE EXCLUSIVE AVEC
Lionel Mathiot
Directeur des Achats de la Division Recyclage et Valorisation – SUEZ
POUR LE CLUB – CERCLE DES DÉCIDEURS FINANCIERS
Lionel Mathiot est Directeur Achats de la Division Recyclage et Valorisation chez SUEZ depuis 2023. Après plus de vingt ans d’expérience dans différentes positions et entreprises, en France et à l’international, et plus de 10 ans dans les Achats, il apporte aujourd’hui un œil neuf au sein du groupe sur la place stratégique et opérationnelle du Directeur Achats, véritable Business Partner au cœur de l’entreprise.
Bonjour, comment définiriez-vous le rôle de Directeur Achats aujourd’hui ?
Bonjour, je dirais qu’aujourd’hui les achats sont de plus en plus stratégiques et que la notion de Directeur des Achats devrait être revue afin de prendre en compte les nouveaux besoins et responsabilités associées : c’est un rôle à multi-facettes ! La gestion des dépenses externes s’accompagne d’un vrai rôle de partenaire des opérations et du business en général, d’un rôle de gestion des risques (financiers, éthiques, santé et sécurité, développement durable…), d’un rôle de manager des collaborateurs (montée en compétence, recrutement…), d’un rôle de financier (suivi des performances économiques, impact de l’inflation…), et enfin un rôle de leader du changement afin de mener de front les différents challenges d’aujourd’hui (IA, innovations des fournisseurs, demandes clients …) : c’est donc un rôle complet et de plus en plus multiple !
Quels sont vos principaux défis à venir pour l’année 2024 ?
Nous sommes dans un contexte aujourd’hui qui est de plus en plus incertain avec des changements très rapides, entre les événements macro-économiques (guerres et conflits, inflation galopante…), les changements climatiques impactant nos opérations (inondations, réchauffement climatique …) et un monde qui demande des changements constants qui nous sont soit imposés (nouvelles réglementations…) ou soudains (besoins des clients qui évoluent plus rapidement…) : de ce fait, on ne sait jamais de quoi demain sera fait ! Nous sommes confrontés à une forte volatilité des prix due à une inflation importante et un marché fournisseur opportuniste, mais aussi des tensions d’approvisionnement et des délais toujours très (trop) importants ! Donc il faut vraiment s’organiser pour anticiper et se positionner le plus en amont possible des projets et demandes internes afin d’établir plusieurs stratégies selon ce qui pourrait arriver en 2024.
Les principaux défis et objectifs sont donc de devenir des managers de l’imprévu et de prévoir différents plans afin d’assurer une continuité des opérations en garantissant les meilleures conditions (prix, délais, capacité d’innovation, protection juridique…)tout en préparant l’avenir !
Qui aurait pu prévoir la crise du Covid ? On pourrait donc résumer par : devenir des managers des risques externes !
Quels sont justement les risques que vous avez identifiés pour l’année à venir ?
Les risques majeurs sont multiples, et en plus des risques classiques pour les achats comme les coûts et délais, il y aussi des risques accrus en termes de gestion des fournisseurs et de l’implémentation accélérée d’achats plus durables.
Si on prend le sujet des achats durables par exemple, chez Suez nous avons communiqué notre feuille de route Développement Durable dès le début de 2023, qui est très ambitieuse et qui va guider nos axes stratégiques dans les années à venir. De ce fait, les Achats travaillent directement sur le volet scope 3 et la future CSRD, qui porte notamment sur les émissions indirectes des fournisseurs mais aussi des éléments sociaux chers à SUEZ. Cela étant, on retrouve aussi des risques liés à la santé et la sécurité avec une volonté de réduire nos accidents (taux de fréquence et taux de gravité) pour nos employés mais aussi chez nos sous-traitants. La direction ne se concentre pas que sur les achats à proprement parler, mais on est vraiment dans une fonction de business partner pour amener des solutions à des problématiques et ambitions internes fortes.
Face à tous ces risques multiples imprévisibles, comment parvenir à garder le cap ?
Il faut avoir une vision claire et partagée des enjeux de l’entreprise et des responsabilités de chacun à tous niveaux. Cela implique de gérer nos actions sur plusieurs pas de temps, en fixant et gardant un cap clair à 1-3 ans, tout en libérant de la flexibilité au quotidien pour absorber les imprévus : cela implique une certaine agilité dans nos plans de charge et interactions avec les unités opérationnelles : cela fonctionne mais nous pouvons toujours nous améliorer !
Pour ce faire, nous nous appuyons sur deux axes principaux : une cartographie des risques partagées entre les différentes entités de SUEZ, mais aussi une volonté de changer les pratiques et de challenger le statu quo ! Concrètement nous voulons tester des nouveaux modèles de relations fournisseurs et lancer des pilotes et c’est ce que nous allons intensifier en 2024 avec certains de nos fournisseurs et sur certaines catégories d’achats. C’est particulièrement vrai pour les achats durables où nous allons lancer des plans de gestion des fournisseurs plus ambitieux dès les prochains mois.
Tout ceci implique le droit à l’erreur et d’insuffler une culture bienveillante pour que chaque collaborateur se sente capable de tester et d’apprendre, tout en s’améliorant : donc une culture du feedback avec une boucle courte de décisions/réactions est primordiale !
Comment se déploie la restructuration des achats au sein de Suez ?
Suez a changé d’operating model mi-2023, et c’est aussi vrai pour les Achats. Les impacts sont nombreux mais cela a renforcé la position des Achats au sein des différents organes de décision du Groupe et a permis d’harmoniser certaines pratiques managériales. Il faut donc rassurer sur nos objectifs et nos actions en cours, tout en accompagnant le changement et en répondant aux challenges des entités opérationnelles.
Dans le quotidien, nous devons être plus proactifs et engager plus en amont des projets à venir. Par exemple, nous sommes en train de verdir notre flotte poids lourds dans la collecte de déchets. C’est bien plus qu’un projet Achats car les répercussions sont nombreuses, et il s’agit de préparer un business sur l’utilisation d’une flotte de véhicules avec différentes contraintes et nouvelles habitudes : mettre en place un planning d‘achats/réception de nos camions avec nos partenaires techniques en parallèle de nos contrats d’exploitation gagnés/perdus, choisir la bonne motorisation adaptée aux besoins locaux, installer des bornes de recharges en temps et en heure, et modifier nos infrastructures et pratiques de collecte en conséquence. Ce n’est pas simplement un appel d’offre et une négociation de prix ! Il faut apporter des solutions nouvelles avec peu de recul sur ces nouveaux marchés (nouvelles technologies, marché peu mature…), et démontrer qu’on apporte de la valeur au quotidien à nos clients internes et externes, tout en informant les équipes sur les différents indicateurs qu’il faut prendre et parfois faire remonter aux clients.
C’est un challenge de tous les jours mais je sais que je peux compter sur des équipes motivées et parfaitement impliquées pour en faire une réussite pour le Groupe !
La restructuration implique-t-elle aussi une digitalisation à grande échelle ?
Effectivement, on bascule de plus en plus dans une phase ‘tech’, et nous allons avoir plusieurs développements associés sur ces questions-là dans les mois à venir. On est engagé par exemple dans une démarche d’amélioration des outils existants, avec des systèmes d’avantages user friendly, et notamment un nouvel outil PtoP (Procure to Pay) en cours de déploiement, qui sera suivi de l’installation de la partie StoC (Source to Contract) en fin d’année. Celui-ci nous permettra d’intégrer des Data Providers afin d’automatiser nos contrôles de documents administratifs de nos fournisseurs, la mise en place de catalogues internes et externes, en facilitant la vie de nos opérateurs autant côté Achats que Comptabilité ou Finance, sans oublier les demandeurs d’achats !
Notre processus Achats est donc revu en parallèle afin de gagner en temps et en efficacité, en gardant les spécificités de certaines catégories d’achats, mais en harmonisant des pratiques communes pour le bien de tous. Et je pense personnellement que l’IA va s’intégrer plus vite qu’on ne le croit dans nos pratiques … et ce dès 2024 : à suivre donc !
Propos recueillis par Sophie DA SILVA ROSA, Cheffe de projet éditorial au sein de l’Agence DII